Qu’il est si triste de les voir partir ainsi au … Nicaragua ! (Par Madiambal DIAGNE)

Le hall de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass est noir de monde, ce soir du samedi 5 novembre 2023. Des centaines de jeunes gens, tous âgés entre 20 et 35 ans, sont dans de longues files d’attente, pour les formalités d’enregistrement dans le vol AT 500 de la Royal Air Maroc en partance, dans quelques heures, pour Casablanca. Le spectacle laisserait croire à ces foules observées à l’occasion de départs de grands groupes de supporters de l’Équipe nationale de Football, pour aller assister à une compétition internationale. Mais la différence est que le silence qui gagne ces lieux, pourtant bondés de monde, est surprenant, étonnant, inquiétant même. Pas un murmure, tout le monde attend tranquillement son tour, comme pris en quelque sorte par une anxiété, une angoisse ! C’est vraiment inhabituel de voir cet ordre, cette discipline chez des Sénégalais, de surcroît à l’aéroport de Dakar. Je chuchote la question à une dame au comptoir : « Qu’est-ce qui se passe ? ». Elle me répond : « Ils vont au Nicaragua ». Je me retourne, interloqué, pour mesurer l’immensité de la foule. Mon interlocutrice ajoute : « C’est comme cela depuis longtemps et tous les soirs, sur tous les vols qui vont au Maroc ou en Espagne ». Je suis interpelé par un adjudant de police, au moment où je me dirige vers le poste pour les formalités de police pour le départ. Une discussion s’engage sur ce phénomène et il m’avoue à son tour : « On ne peut compter le nombre des départs. Le pays se vide de ses jeunes ». Au niveau du filtre des bagages en cabine, les agents sortent des talismans et des bouteilles remplies d’eau bénite, des affaires de nombreux voyageurs. La consigne de ne pas emporter dans ses bagages des liquides est martelée, à tue-tête, mais rien à faire. Un jeune homme tient, comme à sa vie, à une petite bouteille. La dame, préposée à la fouille des bagages, finit par faire montre de mansuétude et lui laisse la bouteille. Elle se tourne vers moi pour me demander ma destination. Je lui réponds. « Je vais au Nicaragua ». Elle rétorque avec une certitude amusée : « Non, Monsieur Diagne, je regrette ! Ceux qui vont au Nicaragua n’ont pas de trolley, ils ont juste un sac à dos comme tout bagage ! ». 
 
C’est en salle d’embarquement qu’une autre voyageuse vient m’apostropher, l’air décontracté : « Je crois vous reconnaître ! », me lance-t-elle. « En êtes-vous sure Madame ? ». Elle n’est du tout décontenancée et répond : « Si, si. Je vous vois à la télé ». Je remarque son sac à dos et lui demande : « Ne me dites pas que vous aussi allez au Nicaragua ! ». Amy Sambe, c’est son nom, semble trouver ma question loufoque : « Bien sûr que je vais au Nicaragua. De toute façon, vous n’aurez plus personne pour voter en 2024 », taquine-t-elle. Je suis sidéré par son attitude faite d’une certaine nonchalance mais aussi paradoxalement, elle apparaît déterminée. Je lui dis ma tristesse de la voir ainsi que tous ces jeunes gens, partir de la sorte vers une aventure des plus incertaines. Le débat s’engage. Amy Sambe est persuadée qu’elle n’a plus rien à espérer dans ce Sénégal et qu’elle doit tenter sa chance dans un autre pays. Elle veut se convaincre que plus rien ne marche dans le pays, que le Sénégal est le pire des pays de toute la terre et il est impossible d’y réussir une vie. Je suis désappointé. J’insiste : « Pensez-vous que la situation sera meilleure là où vous compter aller et mesurez-vous les dangers et risques qui vous attendent sur votre itinéraire ? Je crois que si vous arrivez à économiser quelque six millions de francs pour vous payer ce voyage jusqu’aux États-Unis et avec autant de difficultés, c’est la bonne preuve que vous pouvez bien vous en sortir ici, chez vous ». ». Elle reste imperturbable : « L’argent est le fruit de contributions de toute ma famille. Je vais travailler et revenir dans cinq ans. Et puis la situation ne sera pas pire qu’elle ne l’est ici où on n’a même plus le droit de dire ses opinions », veut-elle croire. Je ne sais pas si c’est de la sidération ou de l’énervement mais je lui réplique : « Franchement vous cherchez à vous donner bonne conscience mais ce que vous dites ne repose sur aucune objectivité. Si votre famille s’est cotisée pour rassembler cette somme, ce n’est pas pour vous permettre d’aller vivre dans un pays où vous auriez une plus grande liberté d’opinion ! Savez-vous que sur le chemin du Nicaragua jusqu’aux États-Unis, votre destination finale, vous trouverez des milliers de personnes provenant d‘autres pays. Ce ne sont pas les Sénégalais seuls qui prennent ce chemin d’exode ». Elle a une seule et même réponse à tout : « Je sais mais la situation est devenue impossible au Sénégal. Et puis celui qui est ma raison de vivre est emprisonné. Laissez-nous partir ailleurs », dit-elle dans un rire. Elle se dit une partisane d’Ousmane Sonko, l’opposant politique emprisonné pour appels à l’insurrection et à la violence. Le discours qu’elle compte servir aux agents de la police des frontières à l’entrée sur le sol américain est déjà bien élaboré. « Quitter le pays ne permettra pas pour autant à Ousmane Sonko de sortir de prison ! ». En effet, mais elle reste ferme dans sa conviction de devoir partir. Elle part, se disant être une victime d’une persécution politique dans son pays. Je lui montre des images qui viennent de tomber sur mon téléphone, de plus de huit cents migrants dont leurs pirogues ont échoué, le jour même, sur les côtes mauritaniennes, précisément à Nouadhibou. Elle consent à dire : « Prendre les pirogues équivaut simplement à un suicide. C’est de la folie ». Elle ne réalise pas les risques qui jalonnent son propre itinéraire jusqu’à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Elle promet néanmoins de me donner de ses nouvelles.

Ibrahima Wagué claque tout son business pour partir lui aussi

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