Sénégal, la souveraineté au-delà de la monnaie

Les nouvelles autorités du Sénégal, avec à leur tête le duo Faye-Sonko veulent rendre au Sénégal sa souveraineté. Les 64 ans d’indépendance ont montré que Dakar n’est toujours pas un pays souverain du fait notamment de l’influence de la France, l’ancienne puissance coloniale, mais aussi d’autres grandes puissances. Le président Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko s’engagent donc à aller au-delà de l’indépendance formelle pour conquérir la vraie souveraineté. Et pour cela, l’instrument le plus visé est la monnaie. Pastef estime que la devise héritée de la colonisation n’est pas conforme à l’économie du Sénégal, notamment sa structure et son niveau de développement.
 
Le nouveau gouvernement veut aussi mener le Sénégal vers sa souveraineté alimentaire, longtemps promise, jamais réalisée. Le pays continue à dépendre quasi exclusivement du marché international avec tout ce que cela comporte comme risques et aléas. Les intentions des nouveaux venus sont donc nobles en dépit des défis qui seront difficiles à surmonter sur ces deux points.
 
Cependant, la souveraineté du Sénégal va au-delà de la monnaie et des denrées alimentaires. La dépendance du Sénégal vis-à-vis de la France est beaucoup plus complexe qu’on ne le présente. En réalité, en dépit du recul économique de l’hexagone en Afrique et de la montée du sentiment anti-français au-delà même du Sénégal, Paris garde une influence certaine sur Dakar.
 
La mort en France, vendredi 5 avril, de l’ancien Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne à la fin des 12 ans de Macky Sall au pouvoir en est la parfaite illustration. Lorsque ce haut cadre du pays a eu des difficultés de santé, le réflexe chez les autorités sénégalaises a été de l’évacuer en France. Le scénario a été presque le même pour Ousmane Tanor Dieng, lui aussi décédé en France. On se rappelle encore le message de Guy Marius Sagna qui regrettait que des gens ayant dirigé le pays pendant des décennies soient évacués à l’hexagone dès les premiers signes de complications.
 
En d’autres termes, la souveraineté du Sénégal a aussi son volet sanitaire qu’il faudra prendre en compte pour réduire drastiquement les évacuations d’urgence des malades, surtout les plus hautes autorités et les personnalités influentes du pays.
 
La question est encore plus difficile lorsqu’il s’agit de l’éducation et de la formation. Quand le Sénégal a voulu instituer les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs, les responsables en charge de cette formation n’ont  pas cherché loin. Formés pour la plupart en France, ils ont confirmé l’adage qui voudrait que la chèvre broute là où elle est attachée. Ils sont allés en France pour chercher non seulement certains enseignants, mais aussi l’accompagnement de Paris pour former le personnel sénégalais.  A l’heure actuelle, il y a un appel à candidatures qui a été lancé et les candidats sélectionnés feront deux séjours à Paris pour leur formation.
 
La forte influence culturelle
 
En outre, après avoir découvert des ressources pétrolières, le Sénégal a décidé de mettre en place un Institut du pétrole et du gaz (Inpg). Là  encore c’est en France qu’il est allé chercher l’accompagnement technique. Pourtant, Paris est loin d’être la référence en matière de production et d’expertise sur le pétrole et le gaz. Si l’on prend les pays producteurs, ce sont surtout l’Arabie saoudite, la Russie, les Etats-Unis, ou le Qatar. Si l’on prend les compagnies d’exploitation, Total figure certes parmi les majors, mais la multinationale française est derrière les géants comme ExxonMobil, Shell et Bp. Si on cherche un modèle de réussite dans l’exploitation, la Norvège est un exemple. Mais le réflexe de s’orienter en tout vers la France est tellement ancré au Sénégal qu’on n’a pas jugé bon de se fatiguer à chercher ailleurs.
 
Même constat avec la construction du premier satellite sénégalais. Là aussi, Paris est loin d’occuper les premières places dans l’espace. Mais pour le Sénégal, le monde s’arrête en France. Nos ingénieurs et techniciens ont été ainsi envoyés à Toulouse pour apprendre à fabriquer un satellite. Mais le lancement se fera aux Etats-Unis, Washington étant à la pointe de cette technologie.
 
Dans le domaine de la recherche, si vous faites un article scientifique, un mémoire ou une thèse, sans citer abondement des auteurs français, c’est que vous n’avez rien fait. Parler de l’état de la recherche revient avant tout à ‘’réciter’’ les publications des chercheurs et écrivains français. Pourtant, ne pas savoir lire qu’en français revient déjà à perdre l’accès sur presque les 4/5 de la connaissance, si ce n’est plus. Certaines publications en anglais mettent un an avant d’être traduites, d’autres ne le seront peut-être jamais. Peut-être que l’introduction de l’anglais dès le primaire voulue par les nouvelles autorités apportera un changement majeur.
 
Le complexe et le culte de produit importé
 
En attendant, ces exemples sur l’éducation et la santé peuvent être démultipliés dans d’autres secteurs. En vérité, l’influence culturelle de la France au Sénégal est très forte et le complexe vis-à-vis de l’hexagone assez profond, y compris chez ceux là qui nous promettent la souveraineté. On a vu comment Pastef a accueilli les reportages de TV5 et France 24 sur les nervis, lors des manifestations de mars 2023. La réalité sur cette question n’a rien de superficiel.
 
Combien d’intellectuels sénégalais préfèrent regarder les télévisions françaises en snobant les chaînes du pays. Parfois, les débats sont purement franco-français. Même un européen non français ne se sentirait pas concerné. Mais le Sénégalais se sent pleinement impliqué dans le débat. Il connaît le présentateur et presque tous les invités. D’ailleurs, combien de journalistes français connaît-on. Certains sont capables d’en citer des dizaines sans trop réfléchir.
 
Pendant ce temps, ils sont incapables de citer un journaliste malien ou ivoirien. Pour eux, les journalistes africains sont nuls, surtout ceux de la télévision. En fait, comme le disait Cheikh Anta, la vérité est blanche, pense-t-on ; elle est française au Sénégal.
 
Il y a donc un gros travail à faire pour donner au Sénégal sa vraie souveraineté. Si la monnaie change et que les mentalités ne changent pas, il y a de fortes chances que la nouvelle devise soit corrompue par les vieilles habitudes pour en faire un autre FCFA. Quant à la production nationale, elle peinera toujours à trouver sa place, parce que pour nous, il n’y a rien de beau, de vrai, d’original et d’agréable que ce qui est venu d’ailleurs. Voilà le vrai chantier !

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