Bronchiolite et «dette immunitaire» : un concept fumeux qui ne tient pas la route

Les hôpitaux font face à une triple épidémie : grippe, covid et bronchiolite. Passons rapidement sur le fait que la bronchiolite, si elle est souvent causée par le VRS (virus respiratoire syncytial), peut aussi être causée par d’autres virus, dont celui du covid-19, sars cov-2, comme l’avaient supputé des médecins suisses dès juillet 2020, et démontré des médecins d’Afrique du Sud à l’arrivée d’Omicron. La bronchiolite ou inflammation des bronchioles, à la périphérie de l’arbre bronchique, entraîne dans un premier temps de la fièvre et un rhume, essentiellement chez le petit enfant, voire le nourrisson, avant de se propager aux voies aériennes inférieures et de déclencher de la toux, un sifflement assez caractéristique, le «wheezing», une gêne respiratoire, et une faiblesse générale, pouvant nécessiter une hospitalisation et une mise sous oxygène.

Des enfants trop protégés ?

Si nombre d’enfants atteints peuvent rester à domicile sous la surveillance de leurs parents avec une bonne hydratation, un épisode de bronchiolite est toujours, au minimum, inconfortable, et très souvent anxiogène. Le VRS circule sous forme d’épidémie hivernale, légèrement plus précoce et beaucoup plus intense cette année. Et alors que les principaux modes de contamination de la bronchiolite sont la voie aérienne et le contact avec des mains souillées par le virus, certaines associations de pédiatres parmi les plus véhémentes pour affirmer depuis 2020 que les enfants en bonne santé n’ont rien à craindre du Covid et que les masquer en classe relève de la maltraitance institutionnelle, ont récemment mis en avant une théorie, dite de la «dette immunitaire», rapidement passée du stade de simple hypothèse à celle de vérité révélée. Selon eux, la violence de l’épidémie de bronchiolite actuelle ne viendrait pas de l’absence de toute mesure sanitaire à l’école… mais serait consécutive au confinement et aux mesures barrière mises en place en 2020 pour lutter contre le Covid, qui auraient engendré un déficit d’immunité des enfants. Protégés des virus et des bactéries par des mesures trop drastiques, ces derniers seraient donc plus vulnérables aujourd’hui aux virus hivernaux.

Difficile de voir dans cette explication autre chose qu’une tentative maladroite d’auto-justification de positions passées qui, avec le recul, se sont révélées fausses. Ainsi, la Société française de pédiatrie a longtemps prétendu que le Covid ne représentait pas de danger chez l’enfant en bonne santé et milité en défaveur du masquage des enfants. Elle s’est montrée très réservée sur leur vaccination. Selon sa présidente, Christelle Gras Le Guen, en août 2021 dans Marianne : «Le protocole sanitaire doit évidemment être appliqué. Mais on ne doit pas en faire quelque chose de rigide parce qu’au bout du compte le virus [du covid] ne tuera que très peu d’enfants à l’école et, quand bien même il circulerait, ça ne serait pas épouvantable.»

Or ce concept fumeux de dette immunitaire, emprunt toxique au vocabulaire financier, ne tient pas la route une seconde si on s’en tient simplement à ce qu’infectiologues, pneumologues et pédiatres nous ont toujours répété au sujet de la bronchiolite et du VRS : le virus respiratoire syncytial est ubiquitaire, presque tous les enfants sont infectés avant l’âge de quatre ans, mais, surtout, la réponse immunitaire ne protège pas l’enfant contre une future réinfection avant ses deux ans. A noter pour les parents légitimement inquiets qu’après l’âge de deux ans, les voies aériennes ayant un peu grandi, l’infection est habituellement mieux tolérée.

«Depuis toute petite elle fait des bronchiolites»

En effet, à la différence par exemple d’une autre infection virale comme la varicelle, qui ne récidive qu’exceptionnellement, l’immunité suite à une bronchiolite à VRS est faible. On a même tendance à redouter, chez un enfant qui a fait une bronchiolite, un risque plus élevé de récidive, par persistance d’une fragilisation des petites bronchioles à distance de l’infection de départ. Il découle de ce constat qu’avoir eu une bronchiolite l’année précédente, ou deux ans auparavant, n’a jamais amené à considérer un enfant comme immunisé ou à risque moindre, bien au contraire. S’il a fait une bronchiolite étant nourrisson, on craint qu’il récidive, et c’est souvent le cas comme l’illustre cette phrase souvent entendue : «Docteur, depuis toute petite elle fait des bronchiolites.»

Autrement dit, le fait de ne pas avoir fait de bronchiolite en 2020 ou 2021, que ce soit grâce aux mesures barrière ou à une moindre circulation virale (ce qui d’ailleurs ne fut pas le cas en 2021 où le VRS circula normalement), n’a qu’UNE conséquence : avoir évité un épisode de bronchiolite ouvrant potentiellement la voie à des récidives. Je répète : ne pas avoir eu une bronchiolite en 2020 ou 2021 ne cause pas chez votre enfant de dette immunitaire mais au contraire évite un risque individuel plus élevé pour lui cette année. On retrouve ici le discours de ceux qui prônaient début 2022 l’abandon de toute mesure barrière au prétexte qu’Omicron était une chance à saisir et permettrait d’acquérir une immunité post-infectieuse ce qui s’est évidemment révélé totalement faux par la suite.

Postuler une «dette immunitaire» liée à un confinement en mars 2020, chez des nourrissons et des enfants de moins de deux ans hospitalisés actuellement pour une bronchiolite est une foutaise. Tout le discours de la «dette immunitaire» est une auto-justification a posteriori de positions passées erronées, à la Bouvard et Pécuchet. A moins de considérer que le lavage des mains fut par le passé une erreur scientifique exposant nos enfants aux infections, et la mise en route des réseaux d’eau potable un crime contre l’immunité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Previous post “Non Monsieur Gassama, le Sénégal n’est pas et ne sera jamais une dictature!” (Par Ansou Sané)
Next post Miss France 2023 : cette cicatrice que cette Miss souhaite cacher, « C’est mon plus gros complexe »… Voici pourquoi elle ne pose pas en bikini