Elgas : “La presse n’a pas montré un grand empressement à dénoncer l’arrestation de Pape Alé Niang”

Elgas, de son vrai nom Souleymane Gassama, a été révélé en 2015 avec Un Dieu et des Mœurs, récit de voyages où il peint de manière féroce la société sénégalaise. Journaliste, il a récemment publié deux textes remarqués sur Pape Alé  Niang, un portrait, et un éditorial dans lequel il défend sans concession celui-ci. Dans cet entretien, accordé à Seneweb, il évoque le soutien parfois timoré de la corporation après l’arrestation du Directeur de Dakar Matin et critique l’évolution de la presse sénégalaise.

Cela fait maintenant deux semaines que Pape Alé Niang a été arrêté. Dans un texte intitulé “Pape Alé Niang doit être libre, question de principe”, vous écrivez : “chaque démission dans  la nécessité de s’indigner, de rappeler les principes qui font notre métier….dégrade notre bien commun et précieux : celui de la liberté de la presse”. La presse est-elle trop timide dans son soutien au journaliste ?

De mon regard plutôt lointain, n’étant pas un acteur quotidien de la presse nationale sénégalaise, il m’a semblé qu’en effet la presse n’a pas montré un grand empressement à dénoncer. Les réactions étaient tièdes, et pas coordonnées, assez solitaires, ce qui renseigne sur l’existence probable d’un malaise à échelle plus grande. L’autre hypothèse à ces réactions molles est la fatigue, devant l’enchaînement des situations d’injustice, les journalistes prennent le pli de la société, en devenant à force aphones. C’est, toutes choses considérées, un véritable problème, car tout faiblissement, toute résignation, donnent quitus au pouvoir qui se nourrit du silence qu’il assimile à une impuissance.

Par le passé, les journalistes ont manifesté dans la rue après l’arrestation d’un de leurs confrères.  Pas cette fois-ci. Qu’est ce qui explique cela, d’après vous ?  (Ndlr : Entretien réalisé avant l’annonce de la marche des syndicats de presse prévue ce vendredi)

Je ne saurais l’expliquer simplement, il n’y a pas de raison évidente. Les journalistes se sont manifestés pour être juste, même si cela a été tardif. Un éditorial commun a par exemple été signé. Les manifestations ne sont pas une tradition sénégalaise, même quand elles ont eu lieu pour défendre des journalistes elles n’ont pas drainé les foules, et n’étaient connues que des réseaux d’initiés. L’une des hypothèses les plus tentantes serait de tout attribuer à la personnalité clivante de Pape Alé Niang. Ça serait à mon sens un peu hâtif. J’opterais plutôt pour un tiédissement assez général dans la société, où le combat a perdu en ardeur, pour gagner hélas en confrontations d’ordre plus politique. Les corps intermédiaires de la société civile étaient pour partie dévitalisés, il n’y a pas un mouvement d’entraînement général pour jouer les vigies et les sentinelles.

“L’essentiel c’est que Pape Alé Niang doit être libre d’exercer son métier comme il l’entend, et je milite pour un droit égal, celui de le critiquer ou de ne pas l’apprécier”

Vous dites vous même dans le texte “Pape Alé Niang n’est pas un saint, mais qu’importe..”. Est-ce que finalement ce n’est pas son style qui dérange jusque dans la corporation et qui peut expliquer certains silences médiatiques dans le concert de condamnations ?

Nous sommes nombreux à ne pas être des saints, et c’est heureux. On défend un principe, pas le style d’une personnalité. Les mutations de l’écosystème journalistique au Sénégal ont fait émerger des profils comme Pape Alé Niang ou Cheikh Yerim Seck, ce que j’appelle le journalisme monogamique, centré autour d’une seule personne, avec des mises en scène personnelles. Cela s’éloigne des canons du journalisme dans ses grandes heures. Mais il faut constater que c’est très prisé par les consommateurs locaux, personnellement je préfère le journalisme de la Maison des Reporters que dirige Moussa Ngom, que celui de Pape Alé Niang. Mais il me semble que ce n’est pas le sujet, peu importe les désapprobations, les désaccords, les divergences et points de vue personnels, l’honneur du métier c’est de se rallier à l’essentiel. L’essentiel c’est que Pape Alé Niang doit être libre d’exercer son métier comme il l’entend, et je milite pour un droit égal, celui de le critiquer ou de ne pas l’apprécier.

“La politisation très souvent décriée de l’administration relève de la même logique que la politisation de la presse”

Son arrestation a remis au centre du débat: le rôle du journaliste dans la société. Certains perçoivent Pape Alé Niang comme le parangon du vrai journalisme et mettent en avant son intransigeance face au pouvoir. D’autres lui reprochent d’être un compagnon de route de Ousmane Sonko et du PASTEF, et d’être en somme un militant encagoulé.  Où vous situez-vous entre ces deux pôles ?

Je me garderais bien de me situer où que ce soit, je pense être un des rares journalistes à avoir fait un portrait long et fouillé de Pape Alé Niang. Ce qui m’intéressait était moins de le juger que d’essayer de saisir ce qu’il représente dans la société sénégalaise. Ma critique porterait plutôt sur le paysage journalistique dans son ensemble, de chapelles qui se regardent en chiens de faïence, de la répétitivité des rubriques, et de l’écrasement de la diversité journalistique (enquête, investigation, originalité, promotion de la culture, etc.) par une seule optique, celle de servir des partis, de l’opposition comme du pouvoir. Bref d’être des outils de propagande. C’est un débat à avoir à plus grande échelle, il me semble que la politisation très souvent décriée de l’administration relève de la même logique que la politisation de la presse. A ce jeu, si Pape Alé Niang est un vilain, il n’aura pas de mal à trouver des compagnons de route dans les sphères les plus établies de l’Etat.

Pape Alé Niang incarcéré, des activistes également.  Manifestations interdites, marches réprimées. Sommes-nous dans une dictature comme certains le disent ?

Le terme dictature me parait un peu excessif, au regard de ce que vivent les gens qui sont sous la coupe de véritables dictatures. Que le pouvoir de Macky Sall bascule à l’autoritarisme, je pense avoir été un des premiers à en parler, dans un portrait croisé que je faisais avec Paul Kagamé en 2018 (https://www.seneplus.com/opinions/kagame-macky-fortunes-et-infortunes-de-lautoritarisme). Pour une maturation de notre démocratie, il y a une série de totems qu’il faut essayer de déboulonner, en particulier le délit de blasphème et le délit d’offense à chef de l’Etat, qui renforcent le culte de la personnalité,  installent une verticalité et une soumission qui sont très nocives pour la vitalité de la démocratie.

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