Dr Marame Gueye : “La société sénégalaise est très violente à l’égard des victimes de violences sexuelles, mais protège les agresseurs sexuels”

Dr Marame Gueye est professeure en Anglais, littératures d’Afrique et sa diaspora, et de genre à l’Université East Carolina. Elle est également membre du Collectif des féministes du Sénégal, organisation qui a affiché son soutien à Adji Thiaré Diaw, qui accuse Kaliphone d’agressions sexuelles.  Pour Marame Gueye, cette affaire illustre le mépris de la société sénégalaise pour les victimes de violences sexuelles. Entretien. 
 
Dans l’affaire Adji Thiare Diaw contre Kaliphone, le rapport gynécologique, transmis aux enquêteurs de la brigade de gendarmerie de Ouakam, écarte la thèse du viol. Est-ce que l’expertise médicale change la perspective que vous aviez de cette affaire ?
 
Non, cela ne change aucunement notre perspective. Le principe de notre combat est de soutenir toute femme qui dit être victime de viol parce que nous comprenons combien la société est violente à l’égard des femmes, surtout celles victimes de viols qui font toujours l’objet de toutes sortes de représailles.  Pour qu’une victime ose parler, il lui faut beaucoup de courage. De ce fait, quand une victime brise le silence, nous lui apportons notre soutien total.  Croire que le viol se limite à la pénétration, c’est avoir une définition très étriquée du viol. Il est donc important que le corps médical, habileté à établir les rapports de viol soit conscient des agressions sexuelles qui entre dans le spectre du viol. Les attouchements non désirés sur une personne, la pénétration par des moyens autres que le pénis constituent tout aussi des viols.   Dans le cas d’espèce, la victime dit avoir été l’objet d’attouchements et que le présumé violeur l’a même pénétré avec le doigt, ceci est un viol. 
 
“Au Sénégal, on a tendance à se focaliser sur la présence ou l’absence de l’hymen pour conclure ou pas un viol.  L’on entend souvent dans les rapports de viol des termes comme « défloraison ancienne ou récente de l’hymen ». Qu’en est-il des femmes qui naissent sans hymen, et des femmes sexuellement actives. Est-ce à dire que ces femmes ne peuvent pas être victimes de viol”
 
Pour rappel, le code pénal dans son article 320 définit le viol comme étant : « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. » Au Sénégal, on a tendance à se focaliser sur la présence ou l’absence de l’hymen pour conclure ou pas un viol.  L’on entend souvent dans les rapports de viol des termes comme « défloraison ancienne ou récente de l’hymen ». Qu’en est-il des femmes qui naissent sans hymen, et des femmes sexuellement actives. Est-ce à dire que ces femmes ne peuvent pas être victimes de viol; lors que même dans une relation maritale, le viol peut exister si on force sa femme à faire un rapport sexuel auquel elle n’a pas consenti. Dès lors, cette obsession sur l’hymen ne fait pas sens. Il est donc important de regarder tous les champs de définition du viol avant d’établir qu’il n’y en pas un. D’ailleurs, il faut rappeler qu’il n’appartient pas au corps médical de définir le viol c’est plutôt au tribunal de le faire et pour cela il faut que le dossier soit instruit. Notre perspective reste intacte. Nous soutenons les victimes qui ont brisé le silence ainsi que celles qui ont choisi de garder le silence.
 
“Au Sénégal, les accusés devant être jugés en chambres criminelles bénéficient d’une représentation légale gratuite alors que les victimes ont du mal à trouver un avocat”
La victime présumée a parlé de “corruption” du gynécologue et évoque des connivences entre Kaliphone et les agents de la gendarmerie de Ouakam.  Partagez-vous son sentiment d’injustice ? 
Nous aimerions croire le contraire. Mais malheureusement, on constate que les institutions qui sont supposées nous protéger ont tendance à discréditer les victimes et à ne pas les écouter, nous ne pouvons que partager ce sentiment. La loi No. 2020-05 portant criminalisation du viol a été votée depuis janvier 2020 mais l’on remarque que les cas de viols se multiplient, et les victimes ont toujours du mal à se faire entendre par la justice. Au Sénégal, les accusés devant être jugés en chambres criminelles bénéficient d’une représentation légale gratuite alors que les victimes ont du mal à trouver un avocat. L’AJS est leur seul recours, et l’AJS est souvent débordée parce que n’ayant pas suffisamment de fonds pour payer les honoraires d’avocats autres que leurs membres. Nous voulons aussi rappeler qu’il n’y pas une figure stéréotypique du violeur. Les violeurs viennent de toutes les couches de la société, et ne doivent bénéficier d’aucune immunité à cause d’une affiliation politique ou sociale. Au-delà des accusations de viol, la victime et sa maman ont été physiquement attaquées, rien que cela, devrait être une raison de détenir le présumé agresseur. 
 
 
“ On demande aux femmes de ne pas se faire violer, mais on ne dit jamais aux hommes de ne pas violer. C’est comme si la société avait accepté que c’est normal que les hommes violent”
Dans le communiqué publié par le Collectif des Féministes du Sénégal, vous regrettez la campagne de dénigrement dont a été victime Adji Thiaré Diaw et des interrogations telles que « Lane gua solone (qu’est-ce que tu avais porté ?), fane gua démone (où étais-tu partie ?), lane guay ligueye (qu’est-ce que tu fais dans la vie), Lofa done def» (qu’est ce que tu es allée faire là bas). Pensez-vous que la société sénégalaise, globalement, n’en fait pas assez pour protéger les victimes ? 
 
 
La société sénégalaise est très violente à l’égard des femmes en général, les victimes de violences sexuelles en particulier. Cependant, elle protège les agresseurs sexuels. Si la majorité des victimes ne sortent pas de leur silence, c’est justement parce que très souvent, les victimes sont dénigrées, insultées, stigmatisées et même accusées d’être responsables de ce qui leur est arrivé. On demande aux femmes de ne pas se faire violer, mais on ne dit jamais aux hommes de ne pas violer. C’est comme si la société avait accepté que c’est normal que les hommes violent. Nous notons l’absence de cadre adéquat de prise en charge et d’accompagnement des victimes de viols qui respecte la victime et sa dignité humaine.  Au lieu d’être assistées dans le respect et de la façon la plus humaine qu’il soit, les victimes sont souvent moquées et punies pour ce qui leur est arrivé. Un viol n’est jamais la faute de la victime quelles que soient les circonstances. Ceux sont les violeurs qui doivent avoir peur ou avoir honte et non les victimes. Si la société traitait les violeurs de la même manière qu’elle traite les victimes, la peur et la honte auraient changé de camp.
“Souvent, le traitement des cas de viol dans la presse sénégalaise est très violent envers les victime”
Vous épinglez aussi les journalistes dans le texte. Que leur reprochez-vous au juste ? 
 
Souvent, le traitement des cas de viol dans la presse sénégalaise est très violent envers les victimes. On va dans le sensationnel et les jugements de valeurs sur les victimes. La presse doit se former sur comment traiter les violences basées sur le genre au vu des conséquences désastreuses que ce traitement tendancieux de l’information peut avoir sur les victimes. Le viol constitue un crime qui ruine des vies. Il ne doit ni être pris à la légère, ni être le sujet de sketchs comiques. Il faut le traiter comme le crime odieux qu’il est. 
Parfois, néanmoins, dans ce genre d’affaires, on a l’impression que pour les militantes féministes l’accusation vaut culpabilité.  “Nous vous croyons sans réserve et nous vous soutenons ”, écrivez-vous à propos des victimes présumées. Est-ce que là, vous ne portez pas atteinte à une notion telle que la présomption d’innocence ?
Notre combat est un combat de principe et non de circonstance. Nous nous battons pour une société égalitaire où les droits de chaque citoyenne et citoyen sont respectés. Nous vivons dans une société patriarcale qui protège les agresseurs sexuels et condamne les victimes, soit au silence, soit au dénigrement public. Les victimes ont besoin de soutien et le premier qu’on peut leur donner, c’est de les croire. Nous sommes et serons toujours du côté des victimes. Cette présomption d’innocence est déjà accordée aux présumés violeurs mais jamais aux victimes. Il n’y a pas de « présomption de vérité » pour les victimes, si je peux m’exprimer ainsi. Donc nous, notre rôle est d’être là pour les victimes. Maintenant c’est à la justice de faire son rôle d’arbitre en respectant équitablement les droits des parties concernées et en tenant compte de toutes les évidences disponibles.

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