Aux assises de Paris, le procès d’un policier accusé d’avoir éborgné un syndicaliste Article de Fabien Leboucq • Il y a 47 min
Six ans d’attente, cinq opérations chirurgicales qui n’ont rendu ni son œil ni sa vue à Laurent Théron, et, à partir de ce lundi, trois jours de procès devant la cour d’assises de Paris. Le policier Alexandre M. y comparaît pour «violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente». Le 15 septembre 2016, lors d’une manifestation contre la loi travail, ce brigadier-chef a jeté une grenade de désencerclement, place de la République à Paris. En explosant, l’arme a éborgné le syndicaliste Sud Santé qui s’apprêtait à quitter le cortège.
«L’impunité règne dans ces affaires»
Epaulé par plusieurs collectifs, il souhaite aujourd’hui dénoncer les violences policières bien au-delà de son cas. «Il a conscience que l’impunité règne généralement dans ce genre d’affaire. Un procès comme celui-ci est exceptionnel», commente son avocate Lucie Simon. Il est en effet rare que des membres des forces de l’ordre comparaissent pour des faits de violence devant une cour d’assises, où sont jugés les crimes (c’est-à-dire les infractions les plus graves).
En l’espèce, les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ont déterminé rapidement qu’Alexandre M. était l’auteur du jet de la grenade mutilante. Un lancer «illégitime», selon le juge d’instruction, qui a conduit, en janvier 2017, à la mise en examen du brigadier-chef. Agé de 48 ans au moment des faits, il lui est reproché d’avoir «volontairement causé des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente».
Plusieurs manquements ont été relevés au cours des investigations. Alexandre M. venait d’arriver au sein de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS), mais était sur le terrain alors qu’il n’avait été pas formé au maintien de l’ordre. Ce qui n’avait pas empêché son supérieur de lui demander de passer «chef de groupe», à cause de la blessure d’un collègue.
«Attroupement hostile»
De plus, Alexandre M. a fait usage d’une grenade de désencerclement, alors qu’il n’en avait pas l’habilitation : il la jette en cloche, alors qu’elles doivent normalement être jetées à ras de terre. Lorsqu’elles explosent, ces «GMD» projettent 18 galets de caoutchouc dur et un bouchon allumeur, à plus de 100 mètres par seconde.
Alexandre M. a déclaré, au cours de premières auditions, que l’utilisation de la grenade de désencerclement était justifiée par la présence d’un «attroupement hostile», et par le fait qu’il venait de recevoir un projectile. Mais les vidéos de la scène, exploitées par les enquêteurs, ne montrent rien de tel. Et les autres policiers présents, s’ils décrivent une ambiance générale «violente», estiment que le lancer de la grenade n’était pas nécessaire.
En mai 2019, les juges d’instruction rendent leur ordonnance de mise en accusation. Ils retiennent une qualification criminelle (donc un procès devant la cour d’assises) et ne suivent pas l’avis du parquet, qui requérait une qualification délictuelle (menant à un procès devant le tribunal correctionnel). C’est un jury populaire qui jugera Alexandre M., à partir de ce lundi matin.
«Ce procès sera celui de la police, de la justice et de l’Etat», promet Désarmons-les. Le collectif qui lutte contre les violences policières, et soutient Laurent Théron, a organisé, au mois de novembre et ce dimanche, deux après-midi d’échange en amont de l’audience. Un «tribunal populaire», auquel ont participé des militants, des personnes dénonçant des violences qu’elles ont subies de la part des forces de l’ordre, et des proches de personnes tuées par la police. Laurent Théron y a notamment dressé le constat suivant : «Le blanc, syndiqué, manifestant, pacifique, qui est éborgné… il y a un procès. Mais quand on voit l’ensemble des victimes [de violences policières], beaucoup sont racisées, et il n’y a pas de procès.»
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