[Trois questions à…] Ngouda Mboup : “Il revient aux députés de traduire les ministres épinglés par la Cour des comptes devant la Justice”

Le rapport de la Cour de Comptes vient encore une fois diviser les juristes. Si, dans un entretien, le ministre Ismaila Madior affirme que la Cour a outrepassé ses prérogatives, son confrère, Mouhamadou Ngouda Mboup, soutient tout le contraire. Dans cet entretien avec Seneweb, l’universitaire détaille les implications judiciaires pour les personnes, notamment les ministres, épinglés par le Rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des fonds de riposte contre le covid-19.

Le Ministre de la Justice a affirmé que l’ouverture d’une information judiciaire n’était pas obligatoire dans le cadre du rapport de la Cour des comptes. Et pourtant vous affirmez le contraire. Pourquoi ?

C’est parce que le Ministre de la Justice fait une interprétation contra legem. Dans le cadre de l’exercice de ses missions, la Cour peut bien préconiser l’ouverture d’informations judiciaires pour remédier aux manquements, anomalies et dysfonctionnements relevés à l’occasion de ses opérations de vérification et de contrôle. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les termes de l’article 3 de la loi organique n°2012-23 du 27 décembre sur la Cour des comptes, qui s’énoncent comme suit : «  La Cour établit un rapport public général annuel qui reprend les principales observations qu’elle a faites dans l’année et les mesures préconisées pour remédier aux manquements, anomalies et dysfonctionnements relevés. Elle peut, en outre, dans le cadre de ses contrôles, établir des rapports publics sur des entités, des thèmes particuliers ou des secteurs déterminés ».

“Pour traduire les ministres devant la Justice, il revient à l’Assemblée nationale, statuant au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes (3/5) des membres la composant, d’adopter une résolution de mise en accusation”

Est-ce que la Cour des comptes a réellement le droit de demander l’ouverture d’information judiciaire contre des ministres?

OUI, il suffit de poser la question pour que la réponse s’impose immédiatement. En vertu de l’article 79 de la loi organique n°2012-23 du 27 décembre sur la Cour des comptes, « Les poursuites devant la chambre de discipline financière ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale ou disciplinaire de droit commun. Si l’instruction ou la délibération sur l’affaire laisse apparaître des faits susceptibles de constituer un délit ou un crime, le premier président de la Cour saisit, par référé, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et en informe le ministre chargé des Finances. De la même façon, si une sanction disciplinaire peut être encourue, le premier président de la Cour en informe l’autorité compétente ».

Que faut-il pour que les ministres épinglés soient traduits devant une juridiction?

Pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, les ministres jouissent d’un privilège de juridiction. Il résulte des dispositions de l’article 101 de la Constitution que les tribunaux ordinaires ne sont pas compétents pour connaître des actes commis par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions.

Pour traduire les ministres devant la Justice, il revient à l’Assemblée nationale, statuant au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes (3/5) des membres la composant, d’adopter une résolution de mise en accusation.

En vertu de la Loi n°2002-10 du 22 février 2002 portant loi organique sur la Haute Cour de Justice, modifiée, la Haute Cour de Justice se compose du Premier Président de la Cour suprême, Président, et de huit juges titulaires (article 1er), la Commission d’Instruction est présidée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Dakar (article 11), le Ministère public est exercé par le Procureur général près la Cour suprême (article 12).

Il revient donc aux députés, par le vote d’une résolution, de mettre en accusation les ministres épinglés et de les traduire devant la Commission d’instruction de la Haute Cour de Justice.

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