Réforme des lycées professionnels : la voie de l’innovation, vraiment ?

Comment faire rimer éducation et innovation ? A l’occasion des 20 ans du Café pédagogiqueLibération organise une journée de débats et d’échanges, le 25 novembre, à Paris, lors du Salon européen de l’éducation. Retrouvez tribunes, articles et reportages dans le dossier thématique dédié à l’événement.

Dès le XIXe siècle, les partisans d’un enseignement méthodique et complet qui forme un travailleur citoyen s’opposent aux partisans d’un apprentissage qui doit se faire uniquement dans l’atelier et pour la production. Les premiers l’ont emporté et l’équilibre entre les contenus et les finalités des enseignements a fini par se concrétiser dans les lycées professionnels. Concrètement, pour permettre à des jeunes pas toujours à l’aise avec l’école d’accéder aux savoirs et aux diplômes professionnels, il est indispensable d’innover au quotidien dans les classes. Cela réclame de l’imagination, de l’écoute, de l’adaptation, de la créativité, de l’autonomie mais également du temps… Ce qui est de moins en moins accordé aux équipes éducatives prises dans de multiples injonctions ou missions présentées comme innovantes.

Bons vecteurs de motivation

Sous couvert de vouloir «la réussite et l’égalité des chances», la transformation de la voie professionnelle diminue de 25 à 30 % les heures dédiées à l’enseignement général. Comment dans ce cas pouvoir prétendre à une poursuite d’études ? Comment pouvoir continuer à mener des projets d’éducation artistique et culturelle, ou des pédagogies de projets qui sont de bons vecteurs de motivation chez les élèves ? Les lycéens professionnels sont-ils envisagés comme des citoyens de seconde zone, sans égale dignité avec leurs pairs du lycée général qui se voient réattribuer des heures en mathématiques ?

La réforme évoque «le chef-d’œuvre» et «la co-intervention» d’enseignants de matières générale et professionnelle comme des «approches pédagogiques nouvelles». Comment expliquer alors la suppression des projets pluridisciplinaires à caractère professionnel (PPCP) menés deux décennies auparavant et qui reposaient déjà sur de la co-intervention ? Quant au chef-d’œuvre mis en place récemment, à moyens constants, sans vraiment prévoir de temps de concertation dans des équipes composées pour un tiers de contractuels à l’avenir incertain (et ne pouvant donc anticiper ces projets d’une année sur l’autre), il fait plus souvent l’objet de douloureux casse-tête et de tentatives vaines que les quelques exemples de réussite exposés médiatiquement. Même si l’idée de faire réaliser une œuvre concrète peut sembler séduisante, en quoi cela aidera-t-il une bonne partie des élèves des filières tertiaires ou industrielles qui, une fois leur bac pro en poche, se verront souvent recrutés sur un autre type d’emploi ?

Hybridation

Dans «les autres innovations pédagogiques structurantes» annoncées sont présentés «la mixité des parcours et le développement de l’apprentissage» qui visent ainsi une hybridation entre filière scolaire et apprentissage en centre de formation d’apprentis. Pour les lycées professionnels, cela se traduit par leur mise sous cotutelle du ministère du Travail et celui de l’Education nationale. Pour les élèves, cela se traduit par un allongement de leur période de formation en entreprise (passant ainsi de 22 semaines sur trois ans actuellement à 33 semaines). Pourtant, beaucoup de maîtres de stage sont réticents à accepter des stagiaires trop jeunes ou pas assez expérimentés et n’ont pas suffisamment le temps de leur faire travailler les compétences à acquérir.

Alors est-ce une réelle avancée pédagogique que de placer les élèves plus longtemps dans les entreprises (peu réputées pour leurs innovations pédagogiques dont ce n’est pas la fonction et qui surtout ne peuvent délivrer seules des diplômes, compétences ou certifications) ? Est-ce une réelle innovation pédagogique que d’accorder à ces élèves, souvent issus de milieux défavorisés, moins de temps scolaire qui lui, peut aider à poursuivre des études ou à valider les compétences et diplômes indispensables à l’insertion sur le marché du travail ?

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