Manifestations en Iran : « le Kurdistan iranien est en situation de guerre », deux mois après la mort de Jina Mahsa Amini

La répression de la contestation populaire est particulièrement violente dans les villes de l’ouest du pays, à majorité kurde, d’où était originaire l’étudiante tuée par la police des mœurs.

Des pierres contre des mitrailleuses. Les manifestations continuent à être réprimées dans le sang en Iran, un peu plus de deux mois après la mort de Jina (son prénom kurde) Mahsa Amini, étudiante morte aux mains de la police des mœurs à Téhéran, le 16 septembre dernier. Le Kurdistan iranien, sa région d’origine, est depuis devenu le principal foyer de révolte contre le régime et pour défendre les droits des femmes.

Cette mobilisation s’est déjà soldée par des dizaines de morts parmi les manifestants kurdes, et les récentes opérations des forces de sécurité font craindre le pire aux observateurs du mouvement. Pour comprendre ce qui se joue dans cette région, franceinfo s’est entretenu avec la sociologue Hawjin Baghali, spécialiste du Kurdistan iranien.

Franceinfo : le régime a multiplié l’envoi de troupes dans cette région, réprimé des manifestations et même des funérailles. Le Kurdistan iranien paie-t-il le prix fort de la contestation populaire en Iran ?

Hawjin Baghali : Oui, on peut le dire. Même s’il ne faut pas oublier qu’au Baloutchistan, dans le sud-est du pays, un massacre a fait une centaine de morts début octobre. Mais au Kurdistan, on signale des morts quotidiennement. Ces derniers jours, on a vu une logique de massacre frapper les villes kurdes, une par une : Mahabad, Djavanroud, Sanandadj, Piranchahr, Saghez, la ville natale de Jina Mahsa Amini… On a observé l’usage de tanks, d’hélicoptères de combat et de « douchkas », des mitrailleuses lourdes. Au Kurdistan iranien, on est passé à une situation de guerre.

C’est justement ce que veut montrer le régime. Les autorités veulent orienter l’opinion, imposer l’idée qu’il ne s’agit pas d’une révolution, mais simplement d’une guerre au Kurdistan iranien. Elles ne parlent pas de partis politiques ou de manifestants, mais de « terroristes » ou encore de « séparatistes », pour séparer cette lutte de ce qui se passe partout ailleurs dans le pays.

Que représente cette région pour le régime ? A-t-elle un potentiel contestataire plus élevé que d’autres provinces iraniennes ?

Tout à fait, et c’est à cause d’une histoire très compliquée. Il y a un large rejet du gouvernement qui remonte à la création de la République islamique, en 1979. Mais pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988), on a vu des Kurdes défendre l’Iran. A part cela, il y a toujours eu des protestations et la mémoire collective kurde est marquée par la répression et les massacres. Les associations, les partis politiques, principalement clandestins, sont nombreux et très actifs au Kurdistan. La population se mobilise facilement et rapidement, surtout depuis 2017 et ensuite en 2019-2020, lors des derniers mouvements protestataires.

« Si Jina n’avait pas été kurde, la révolte n’aurait peut-être pas eu lieu tout de suite au Kurdistan. Mais la colère était déjà forte, après des années de contrôle violent des femmes au quotidien. »

Hawjin Baghali, sociologue, spécialiste de l’Iran

à franceinfo

Cela se voit à nouveau depuis deux mois. Les funérailles de Jina Mahsa Amini le 17 septembre ont été très bien organisées et ont structuré la colère déjà présente. A la différence des autres régions en Iran, les manifestations au Kurdistan peuvent avoir lieu à tout moment, nuit et jour. Il y a des grèves, des rassemblements. On y voit des jeunes, des vieux, hommes et femmes, des gens de classes sociales différentes… Et ceux qui ne peuvent pas manifester participent à l’enterrement de ceux qui sont considérés comme des martyrs.

En l’espace d’une semaine, plusieurs frappes de l’armée iranienne ont visé des positions kurdes en Irak. Pourquoi cette extension du conflit hors des frontières du pays ?

Il y a une collaboration entre les Kurdes de chaque côté de la frontière entre l’Iran et l’Irak, qui est une zone montagneuse. A la fin des années 1990, les organisations de guérilla avaient fui dans la montagne pour, ensuite, redescendre côté irakien et choisir une voie plus politique. Avec ces actions militaires, l’Iran veut orienter le conflit vers les Kurdes en général, pour en faire un problème kurde. Le régime agite la menace de la Syrie, fait peur aux Iraniens avec l’idée d’une guerre civile. Et comme Bachar al-Assad en Syrie, le gouvernement iranien veut montrer qu’il a la capacité de massacrer ses opposants.

Les manifestations au Kurdistan iranien vont-elles perdurer malgré l’escalade de la violence ?

Le Kurdistan reçoit un grand soutien du reste du pays. Dans les manifestations, sur les réseaux sociaux, les Kurdes sont félicités et cités comme des modèles. Mais la solidarité ne leur suffit pas, ils attendent des Iraniens une plus grande mobilisation. Le frère d’un manifestant kurde tué a récemment appelé le peuple à « sortir pour demander sa liberté ».

Alors que la répression devient de plus en plus brutale, le peuple kurde agit de façon plus radicale. Il y aura certainement de nouvelles grèves générales, mais aussi d’autres bâtiments officiels attaqués, des barricades, des jets de pierres… Malgré les demandes, les partis politiques restent volontairement en retrait de cette lutte, pour ne pas entrer dans le jeu du régime.

Ce qui m’étonne, c’est qu’au lendemain des massacres, comme à Mahabad ce week-end, la ville n’était pas morte. Malgré le danger posé par les tanks et les hélicoptères, tout le monde ne se cache pas chez soi et le peuple était dans la rue. Depuis la Révolution islamique, je pense que c’est la première fois que cela arrive.

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