Macron aux Etats-Unis: une partie diplomatique serrée, un an après la « trahison » liée à Aukus

La relation transatlantique, mise à mal par l’affaire Aukus, s’est renforcée avec la guerre en Ukraine. Mais les désaccords demeurent et Emmanuel Macron, en visite aux Etats-Unis, joue une partie serrée.

Bis repetita. Alors qu’Emmanuel Macron avait été, en 2018, le premier dirigeant étranger à effectuer une visite d’État aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump, il remet ça du 30 novembre au 2 décembre, cette fois sous la présidence démocrate de Joe Biden. C’est aussi la première fois qu’un dirigeant français réalise deux voyages présidentiels outre-Atlantique. Un joli coup diplomatique, comme les affectionne le chef de l’État, qui n’avait toutefois rien d’évident compte-tenu du séisme provoqué à l’automne 2021 par la « trahison » américaine dans l’affaire Aukus. Washington, avec la duplicité de Londres et Canberra, avait alors brutalement torpillé le « contrat du siècle », la fourniture à l’Australie de 12 sous-marins tricolores. En riposte, Emmanuel Macron avait rappelé les ambassadeurs à Washington et Canberra et fait lanterner sept jours Joe Biden avant de le prendre au téléphone. « C’est une rupture majeure de confiance » avait aussi flingué le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, remonté comme jamais et dénonçant « un coup dans le dos ».

Quatorze mois plus tard, la colère a laissé place à la réconciliation et à un rapprochement très net, à la faveur de la guerre en Ukraine. « Depuis le début du conflit et même avant en réalité, la diplomatie américaine est vraiment dans une logique collective de partage d’informations, ce qui était moins notable sous Obama et Trump » salue-t-on au Quai d’Orsay. Les deux pays, qui ont appelé l’Ukraine à être ouverte à des négociations de paix avec la Russie – ce que n’ont pas apprécié Kiev ou les pays Baltes, sont alignés sur la nécessité de trouver une issue au conflit. « Paris et Washington ont des positions très proches sur l’Ukraine et insistent sur la nécessité de négocier, appuie Gérard Araud, ambassadeur français à Washington de 2014 à 2019. Plus globalement, compte-tenu du fait que le Royaume-Uni est à la dérive et que le gouvernement allemand est hésitant et refuse toujours les responsabilités de la puissance, la France est par défaut l’interlocuteur privilégié des Etats-Unis en Europe. »

Paris ne veut pas d’un Otan obsédé par la Chine

Forts de relations excellentes dans le renseignement – « on travaille très bien avec la CIA, les choses marchent du feu de Dieu, ce qu’on fait ensemble est même disons-le, juste dingue » s’est extasié le 20 octobre, lors d’une conférence à Neuilly-sur-Seine, le patron de la DGSE, Bernard Émié, le couple franco-américain doit aussi gérer de profonds désaccords. Le plus structurant tient au comportement à adopter face à la Chine. Érigée comme la menace absolue par le Pentagone et le Département d’État, la France se veut plus mesurée, indifférente à tout agenda géopolitique imposé. C’est notamment le cas au sein de l’Otan ou Paris voit d’un mauvais œil la volonté américaine de faire de l’alliance une arme anti-Pékin. « Nous partageons avec l’administration Biden l’essentiel de nos valeurs mais nos intérêts, notamment de sécurité économique, ne se recoupent pas toujours » a déclaré à ce sujet, l’ambassadrice française à l’Otan, Muriel Domenach, le 21 octobre, lors d’un colloque à Istanbul.

Comme l’a illustré l’affaire Aukus, l’espace indopacifique est aussi source de rivalités croissantes entre les deux pays. Face à Washington et ses affidés des « Five Eyes » (alliance des services de renseignement américains, canadiens, britanniques, australiens et néo-zélandais), Paris joue une partition serrée qui vise notamment à nouer des partenariats étroits avec l’Inde ou le Japon. Le concept d’autonomie stratégique européenne cher à Emmanuel Macron est également vilipendé à Washington. Et comme l’a rappelé les récents achats d’armements américains par Berlin (chasseurs F-35, avions de patrouille Poseidon…), ce combat s’annonce difficile pour Paris. « Les Américains sont des compétiteurs, des prédateurs économiques de haute volée, mais sur ce dossier-là, c’est à nous Européens de jouer en équipe » indique-t-on au Quai d’Orsay.

« Risque à s’en remettre à ce que la pièce retombe du bon côté »

Sur le plan économique, il est aussi à noter que la décision des Etats-Unis de subventionner massivement (354 milliards d’euros) les produits « verts » made in USA, notamment les voitures électriques ou les panneaux solaires, dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) – elle entrera en vigueur le 1er janvier 2023 – inquiète fortement Paris et Bruxelles. « Il y a un vrai risque que de nombreuses entreprises européennes s’en aillent investir aux États-Unis, poursuit notre source. Ce sujet sera évidemment discuté entre Emmanuel Macron et Joe Biden. » Le nucléaire sera également au cœur des échanges entre le président démocrate et son homologue français. Ce dernier, qui se rendra aussi à La Nouvelle-Orléans, afin de répéter son attachement à la francophonie, sera accompagné d’une délégation XXL (Bruno Le Maire, Catherine Colonna, Bernard Arnaud, Xavier Niel, Patrick Pouyanné, Luc Rémond, Thomas Pesquet…).

Par ailleurs, plusieurs spécialistes de la relation franco-américaine soulignent la nécessité de rendre l’Union européenne moins dépendante de l’Oncle Sam. « La très forte polarisation aux États-Unis qui se traduit par une radicalisation des Républicains, des mouvements populistes puissants comme le Tea Party, doivent nous amener à réfléchir, observe Pierre Vimont, ex ambassadeur à Washington et représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Il y a un risque évident à s’en remettre tous les quatre ans à ce que la pièce retombe du bon côté. Et pour cela, l’UE doit avancer et grandir.  » Une nécessité partagée par Gérard Araud qui rappelle néanmoins que quoi qu’il advienne à l’avenir, le locataire de l’Élysée sera « obligé d’avoir une bonne relation avec le président américain, l’homme le plus important au monde. »

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