[Histoire] L’épopée de Abdoul Bocar Kane, héros oublié du panthéon des résistants anti-impérialistes

L’histoire du Sénégal est marquée par d’illustres personnages ayant effectué diverses luttes dont celles contre l’ancienne colonie française. Dans ce panthéon de héros anticolonialistes des noms tels que  Cheikh Oumar Foutiyou Tall, Alboury Ndiaye ou Lat Dior sont des personnages cités en exemple tant les exploits sont retentissants. Parallèlement, des acteurs tout aussi vaillants croupissent dans le précipice de la méconnaissance. C’est le cas d’Abdoul Bocar Kane qui fut l’une des personnalités les plus marquantes du Fouta au temps de la colonisation. Récit d’un chef intransigeant aux convictions inébranlables.
« Quand Abdoul n’est pas là, la paix règne de Saint-Louis à Bakel », c’est par ces mots, témoignant d’une certaine satisfaction, que le colon décrivait le climat dans cette contrée en l’absence d’Abdoul Bocar Kane. Né en 1831, il est le petit-fils d’Ali Doundou et le fils de Bocar Ali Doundou qui, l’un après l’autre, furent « Jaargorgal » (grand électeur) de Boosoya. Ce titre était attribué aux dirigeants des principales provinces constituant le Fouta-Toro. L’une de leurs tâches, la plus importante, était d’élire l’Almami (monarque du royaume d’Afrique de l’Ouest). Abdoul Bocar Kane prend les rênes du Boosoya à sa maturité vers les années 1850. 
 
Prise de fonction en des temps troubles
 
Sa prise de fonction intervient dans une période où le Fouta est confronté à plusieurs maux. Le premier d’entre eux provient d’un ras-le-bol des commerçants occidentaux qui exploitent la gomme arabique récoltée sur les deux rives du fleuve Sénégal de Saint-Louis à Bakel. Le souci se situe au niveau du convoi de cette moisson qui avait lieu pendant la saison des pluies, une période propice à la navigabilité sur le fleuve Sénégal. En effet, les représentants de l’Almami (Jaargorgal) exigeaient que des « coutumes » (taxes) leur soient versées. Excédés, ils demandent aux autorités de Saint-Louis de procéder à la conquête du Fouta. Une requête à laquelle la France donne un avis favorable en nommant Faidherbe gouverneur. Il entame alors sa mission de dislocation du Fouta en obligeant les différents chefs à signer des traités de protectorat. Une entreprise qui va grandement contribuer à l’affaiblissement de cette région. 
 
L’autre élément qui a participé à l’affaiblissement du Fouta était l’appel de Cheikh Oumar Foutiyou Tall à ses semblables à rejoindre le Kaarta (ouest du Mali). Le principal argument du chef de guerre était d’évoquer le fait que le Fouta tombait aux mains des français et que LE rejoindre était synonyme de lutte. Un appel qui va, selon des spécialistes, faire perdre au Fouta le quart de sa population. 

 
Abdou Bocar Kane, un caillou dans la chaussure du colon

Ne souhaitant pas capituler, Abdoul Bocar Kane décide de résister arme à la main contre le colon. Parmi les batailles les plus importantes de son règne, celle des lignes télégraphiques est sans doute la plus mémorable. Les ambitions économiques des colons français les obligent à sécuriser la navigation sur le long du fleuve Sénégal pour leur approvisionnement en gomme, en mil et en bétail. A côté de cela, le désir exacerbé de conquête de nouveaux territoires était pesant. Et l’objet de convoitise des Français était le Soudan. Cependant, pour mener à bien cette quête, il fallait « dompter » Booseya point de passage obligatoire et considéré comme la région la plus importante du Fouta. Une maîtrise de cette zone permettait aussi l’installation d’une liaison de poteau télégraphique de Saint-Louis au haut fleuve. Pendant 5 ans (entre 1880 et 1885), d’intenses batailles vont avoir lieu entre les colonisateurs et les hommes d’Abdoul Bocar Kane. Ce dernier va résister mais face au rapport de force largement en faveur des assaillants, il change de tactique et opte pour la négociation. Il réussit à devenir le premier chef autochtone à signer un traité avec les français en 1885 dans lequel il accepte l’installation des poteaux télégraphiques en contrepartie d’une meilleure rémunération des ouvriers chargés des travaux, qu’une rente mensuelle lui soit versée et il refuse d’avaliser les traités antérieurs favorables à l’annexion des territoires du Fouta. 
 
Alboury Ndiaye, l’autre pomme de discorde
 
Les deux parties savaient pertinemment que cet accord était voué à l’échec et que les hostilités allaient recommencer de plus belle. Mais les Français n’étaient pas les seuls ennemis des Foutankés (habitants du Fouta). L’empire du Jolof -dirigé en ce temps par Alboury Ndiaye- en faisait aussi partie. Une relation réversible dans la mesure où les deux tribus soufflaient le chaud et le froid. Le 24 mai 1890, Alboury Ndiaye est poussé à l’exil en raison de l’assaut réussi effectué dans le Jolof par le colonel Archinard. Son but était d’aller rejoindre le fils de Cheikh Oumar au Kaarta. Dans sa traversée, il passe par Booseya et demande l’asile auprès d’Abdoul Bocar Kane. Il la lui accorde en dépit des menaces et représailles du colon mais aussi des dissuasions des autres chefs des provinces du Fouta qui n’étaient pas insensibles aux menaces des Français. Piqués au vif, ces derniers vont mener des attaques et pousser Abdoul Bocar Kane et Alboury à traverser le fleuve pour rejoindre Kaédi (Mauritanie). Cette ville subira aussi des assauts qui les poussent à reculer davantage.
Une tête mise à prix, un Juda séduit !
Se réfugiant en pays Maures, Abdoul Bocar Kane va bénéficier pendant longtemps de la protection de ses hôtes. Alboury Ndiaye a, quant à lui, préféré poursuivre sa route en direction du Kaarta. Loin de sa base, le Boosoya, A.B.K va régulièrement effectuer des descentes dans la région pour solder ses comptes avec des chefs locaux proches des Français. Une intransigeance qui va pousser Henri-Félix de Lamothe à mettre la tête d’Abdou à prix contre 500 francs. Tout porte à croire qu’il aurait été assassiné par des Maures qui étaient censés être ses alliés. Une version accréditée par le Journal officiel du Sénégal publié le jeudi 10 septembre 1891 ajoutant que : « l’homme qui vient de disparaître d’une façon aussi tragique avait joué depuis de longues années dans l’histoire du Sénégal un rôle trop marquant pour que nous puissions nous borner à la mention sommaire de sa mort ». 

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