«Est-ce qu’on est obligés de tirer ?» LFI défend une commission d’enquête sur les refus d’obtempérer

C’est un triste record. En 2022, douze personnes ont été tuées à bord de véhicules par des tirs de policiers qui les accusaient d’avoir refusé d’obtempérer, selon un décompte de Libération. C’est huit de plus qu’en 2020, onze de plus qu’en 2021, en se basant sur les chiffres de l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et de l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN). Dans ce contexte, les députés LFI Eric Coquerel (Seinte-Saint-Denis) et Ugo Bernalicis (Nord) ont présenté ce jeudi une résolution visant à la mise en place d’une commission d’enquête sur les conditions d’intervention des policiers et gendarmes lors d’opérations de contrôles routiers.

Les syndicats de policiers et autorités attribuent cette augmentation sans précédent à l’accroissement des comportements dangereux au volant. Mais dans une analyse statistique rendue publique en septembre, les trois chercheurs Sebastian Roché (CNRS), Paul Le Derff (université de Lille) et Simon Varaine (université Grenoble Alpes) démontrent que l’assouplissement du cadre juridique de l’usage des armes en mars 2017 permis par l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, votée par la majorité socialiste, est certainement la principale raison de cette multiplication de cas.

Elle doit, selon la proposition de Coquerel et Bernalicis, «interroger sur les conditions d’encadrement et de formation qui ont généré de tels comportements, autant que la façon dont sont enseignés les textes en vigueur.» Et les élus insoumis de compléter, un peu plus loin : «Notre postulat est de considérer qu’aucune personne ne doit trouver la mort suite à un simple refus d’obtempérer : ni du côté policier ou gendarme ni du côté des citoyennes et citoyens.» «Est-ce qu’on saurait faire différemment ? Est-ce qu’on est obligés de tirer ?, a interrogé Ugo Bernalicis lors du point presse organisé ce jeudi après-midi à l’Assemblée nationale. Il y a des outils. En étant dans la surenchère permanente on met en danger els policiers et les gendarmes et les gens qui sont dans les véhicules.»

Premier objectif de cette commission d’enquête parlementaire : «établir un état des lieux des doctrines d’intervention» des policiers et des gendarmes dans le cadre des délits routiers, interroger leur formation, mais aussi «l’évolution des comportements» des conducteurs et leur pénalisation.

Les députés souhaitent également revenir à leur tour sur «l’impact de la modification législative» introduite en février 2017 sous la présidence de François Hollande, «sur le recours à l’usage des armes à feu, et de l’évolution de la réglementation conduisant à la multiplication des contrôles.»

Menace «susceptible»

L’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, dont il est question ici, permet notamment aux forces de l’ordre d’ouvrir le feu en cas de refus d’obtempérer si «les occupants [d’un véhicule] sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui». La menace à l’encontre des policiers et gendarmes ou des autres citoyens n’a pas besoin d’être réelle, ni imminente. Il suffit qu’elle soit «susceptible» de se produire.

Selon l’étude statistique de Roché, Le Derff et Varain, cinq fois plus de personnes ont été tuées par des tirs policiers visant des conducteurs ou passagers de véhicules depuis le vote de cette loi. «II est très probable» que ce texte soit «la cause du plus grand nombre constaté d’homicides commis par des policiers», ont affirmé les chercheurs.

«On est face à un évènement d’une ampleur inédite, mais inédite aussi en Europe. Je ne pense pas qu’il y ait un pays en Europe qui connaisse une telle situation», a insisté Eric Coquerel lors du point presse. Ainsi, la commission d’enquête viserait également au recensement des pratiques existantes dans d’autres pays et à l’analyse de l’évolution des comportements sur la route, «afin de mettre en exergue la pluralité des causes qui explique l’augmentation des situations de tension.» «C’est aussi pour protéger les policiers […] je pense qu’aucun policier à la fin d’un contrôle d’identité, quand il y a un mort, peut ne pas être traumatisé par cette question», a ajouté le député de Seine-Saint-Denis.

Au-delà de l’examen approfondi de la situation, quelles pourraient être les répercussions concrètes d’un tel travail parlementaire ? Coquerel se veut optimiste : «Il y a des possibilités accrues d’avoir des lois qui viennent de l’Assemblée nationale. On peut imaginer que, si on arrive à convaincre nos collègues que cette question est essentielle, une proposition de loi en découle.» S’il est difficile d’imaginer un soutien venir des bancs de la majorité macroniste, de la droite et du RN, les insoumis ont au moins le mérite de rebraquer la lumière sur le sujet.

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