Corrida : 566 amendements déposés, l’abolition risque de ne pas arriver dans l’arène de l’Assemblée
La rumeur bruissait depuis des semaines dans les couloirs du Palais Bourbon, la voilà en passe d’être confirmée. Malgré son inscription à l’ordre du jour de ce jeudi, la clivante proposition de loi visant à abolir la corrida sur le territoire français, défendue par le député de Paris Aymeric Caron, risque de ne pas être soumise au vote des députés. Par manque de temps. Les opposants – tous camps confondus – au texte se sont savamment organisés pour rallonger au maximum les débats prévus ce jour, en déposant des centaines d’amendements sur les différents textes insoumis. 566 l’ont été pour le seul texte de l’ancien journaliste, apprend-on ce mardi. De quoi compromettre son passage dans l’hémicycle. Ou du moins, d’empêcher l’examen d’aller à son terme.
Car pour cette journée de niche parlementaire qui permet à tout groupe, y compris de l’opposition, de décider des textes débattus dans l’hémicycle, la proposition d’Aymeric Caron ne figure qu’en quatrième position. «C’est un rang qui permet d’être examiné si les débats précédents ne durent pas trop longtemps», analysait auprès de Libé il y a quelques jours un député PS, alors que les groupes bénéficient de vingt-quatre heures et pas une minute de plus pour tenter de faire voter leurs textes.
Ce jeudi, les débats autour des propositions positionnées devant l’abolition de la corrida semblent partis pour durer. 26 amendements ont été déposés pour la proposition de création d’une commission d’enquête sur les Uber Files, 110 pour la proposition de loi visant à augmenter le Smic à 1 600 euros et 233 pour la constitutionnalisation de l’IVG. Et malgré «une marge de manœuvre» espérée par Caron il y a deux semaines, ce dernier n’est pas parvenu à faire inverser l’ordre des textes. Difficile de sacrifier deux des principales propositions du programme insoumis.
Ce mardi matin en conférence de presse les députés LFI n’ont pas manqué de dénoncer la manœuvre parlementaire de leurs opposants. «Je déplore l’obstruction anti-démocratique qui est faite sur l’unique journée que nous avons pour choisir l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, a regretté la présidente du groupe Mathilde Panot. Elle serait extrêmement dommageable pour notre Assemblée puisque cela voudrait dire à la fin que vous vous retrouverez avec aucun des groupes qui ne pourraient passer un texte en entier dans leur niche parlementaire». «C’est dangereux», a-t-elle poursuivi, affirmant que ces dépôts d’amendements visent à «empêcher tout débat sur des questions majeures».
Trolls et synonymes
Comme dénoncé par les insoumis ce mardi, la grande majorité des 566 amendements déposés sur la proposition de loi pour abolir la corrida visent bien à ralentir les débats et empêcher le vote. Plusieurs députés RN, LR, non-inscrits ou de la majorité, jouent les trolls en proposant, par exemple, de reformuler l’intitulé de la proposition de loi «abolir la corrida : un petit pas pour l’animal, un grand pas pour l’humanité». La députée non-inscrite proche de l’extrême droite Emmanuelle Ménard suggère d’y ajouter la locution «et prendre Paris pour le centre du monde». Le macroniste Patrick Vignal, qui a manifesté samedi dernier avec des élus RN pour la défense de cette pratique, suggère de renommer le texte «abolir la corrida : un petit pas pour l’animal, un grand pas pour le moustique». Sans compter l’élu RN du Gard, Yoann Gillet, qui semble avoir épuisé tous les dictionnaires des synonymes possibles en soumettant plusieurs fois le même amendement en changeant simplement un petit mot. A lui seul, le vice-président du groupe d’extrême droite a déposé 156 amendements. Dont un proposant subtilement de renommer la proposition de loi «imposer l’idéologie des mangeurs de graines aux habitants du sud de la France».
L’obstruction parlementaire reste toutefois une pratique ancestrale du Palais Bourbon, que les insoumis avaient d’ailleurs utilisé en février 2020 à l’occasion du débat avorté sur les retraites. Le groupe alors présidé par Jean-Luc Mélenchon avait déposé plus de 19 000 amendements pour ralentir l’examen du projet de loi. Au début du mois d’octobre, Mathilde Panot n’avait pas exclu le dépôt de 75 000 amendements par les insoumis pour le retour prochain de l’épineuse réforme dans l’hémicycle. L’arroseur arrosé ?
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