Comment la Corée du Sud compte devenir le quatrième exportateur militaire mondial
Depuis quinze ans, Séoul a multiplié par huit sa production de matériel de défense. Son récent contrat à 15 milliards de dollars avec la Pologne soutient son objectif.
Tension extrême. Lundi 26 décembre, l’état-major interarmées sud-coréen a annoncé avoir « détecté un engin aérien sans pilote nord-coréen », puis avoir « riposté immédiatement » avec des tirs d’avertissement et un déploiement d’avions de chasse et d’hélicoptères de combat. Un incident militaire qui s’ajoute à une longue liste avec le voisin nord-coréen. Il ne fait que conforter la ferme volonté de la Corée du Sud – peu connue en Europe – de devenir, à marche forcée, une nouvelle puissance militaire.
En septembre dernier, lors d’un Salon de l’armement à Poncheon, près de la frontière nord-coréenne, Séoul montrait ses muscles avec ses obusiers automoteurs K-9, qui faisaient feu dans un vacarme assourdissant. Les fleurons de l’armement sud-coréen étaient réunis pour détailler à de potentiels acheteurs leur savoir-faire dans les équipements de défense. Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a fixé à l’été son objectif: « La Corée du Sud sera le 4e exportateur mondial d’armement derrière la France, la Russie et les Etats-Unis. » Un pari qu’il pourrait bien remporter.
Contrat historique
Pour la Corée du Sud, 2022 a été une année record. Le pays a exporté pour 17 milliards de dollars d’armement, notamment vers l’Arabie saoudite et l’Egypte. Mais c’est le contrat historique avec la Pologne qui pèse le plus: près de 15 milliards de dollars d’équipement, des chars K-2 aux chasseurs FA-50. Certes, la guerre en Ukraine a facilité les ventes, surtout avec Varsovie, qui souhaite se réarmer. Mais ce développement de l’industrie militaire vient de loin, lancé il y a près de quinze ans.
L’explication? Le prix des armes sud-coréennes, inférieur à la concurrence, avec une qualité équivalente, même si ce n’est pas le principal argument de vente. L’atout du pays, c’est d’abord sa capacité de production. Tous les trois à cinq jours, un canon d’obusier K-9 sort des usines Hanwha à Changwon. Un rythme intense expliquant pourquoi la Pologne se tourne vers ce pays plutôt que les Etats-Unis ou l’Allemagne. Hyundai, qui fabrique les chars d’assaut K-2, a indiqué pouvoir livrer 180 modèles en trois ans.
Cinq fois plus que l’Allemagne dans le même temps. Pour son contrat passé en juillet 2022, la Pologne a vu sa première livraison arriver dès le mois d’octobre. « Cette capacité à honorer rapidement ses contrats vient du fait que Séoul puise dans ses stocks pour l’export. Les chars livrés ne sortent pas des usines, explique Kévin Martin, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. Reste à savoir si la Corée du Sud peut tenir le rythme sur le long terme et reconstituer ses réserves. » En 2010, lorsque le pays exportait ses munitions, ses stocks ne lui permettaient de tenir que deux semaines en cas de conflit.
600 millions de dollars d’ici à 2027
Séoul ne compte pas s’arrêter là. Le président Yoon a annoncé un investissement de près de 600 millions de dollars dans le secteur de l’armement d’ici à 2027. Ce qui renforcera encore ses industriels, notamment Hanwha, qui se distingue des autres. Spécialiste dans l’artillerie et l’électronique, doté d’un catalogue déjà très fourni, ce groupe vient de racheter l’armateur DSME pour 1,4 milliard de dollars. Et il compte s’internationaliser: « Hanwha est le premier groupe à avoir une usine délocalisée en Australie, précise Kévin Martin. Jusqu’alors, l’industrie ne produisait qu’en Corée du Sud. »
En plus des livraisons d’équipements, les contrats signés avec Séoul incluent des transferts de technologies et l’implantation de firmes dans les pays partenaires. Pas de doute, les Sud-Coréens vont être un concurrent de plus en plus sérieux pour les Européens. « En 2006, ils projetaient de multiplier leur production par huit, à l’horizon 2020. Peu de gens y croyaient, mais ils l’ont fait, rappelle Kévin Martin Aujourd’hui, ils ont la capacité d’atteindre leur cible. »
Face aux dangers à sa porte, le Japon veut se réarmer
Si tu veux la paix, finance la guerre. Ce pourrait être la devise du Japon après l’annonce, le 17 décembre par son Premier ministre, d’une hausse exceptionnelle des dépenses militaires du pays. Invoquant le « défi stratégique sans précédent » représenté par la Chine, Fumio Kishida a esquissé une nouvelle politique de défense, plus autonome par rapport à son allié américain. Au cours des cinq prochaines années, le gouvernement consacrera plus de 300 milliards d’euros aux dépenses militaires pour porter le budget annuel de la défense à 8.900 milliards. Soit un doublement en cinq ans, de 1 à 2% du PIB. Un revirement historique. Depuis sa défaite en 1945, le Japon a embrassé officiellement un « pacifisme d’Etat », sous le parapluie de l’armée américaine, forte d’un contingent de 56.000 hommes. Il maintient une armée, mais avec la vocation exclusive de riposter à une attaque. Les gouvernements successifs ont ainsi adopté comme règle de plafonner les dépenses militaires à 1% du PIB.
Par Célio Fioretti (à Séoul)